Boulimie et Hyperphagie boulimique : ne pas tout mélanger… Lettre ouverte…

Dr Dominique Boute

La Haute Autorité de Santé vient de lancer une recommandation pour améliorer le repérage et la prise en charge des troubles boulimiques. C’est une excellente chose et il est effectivement très important de s’intéresser à ce problème qui représente une réelle souffrance pour un très grand nombre de personnes.

A la lecture des documents de recommandation, il me paraît toutefois important de ne pas mélanger toutes les formes de boulimie car elle concerne des contextes totalement différents.

Dans le document, on distingue la boulimie avec mécanismes « compensatoires » en particulier les vomissements chez des personnes de poids normal voire insuffisant et l’hyperphagie boulimique qui conduit à un problème de surpoids ou d’obésité. C’est un peu comme si c’était le même trouble déclenchant ou non un excès de poids selon qu’il y ait ou non des mécanismes de compensation. La pratique courante montre que ces 2 problèmes surviennent dans des contextes totalement différents.

La boulimie, l’hyperphagie boulimique, le Binge Eating Disorder, le Night Eating disorder, le craving … quelque soit la façon de dénommer le trouble repose sur un élément fondamental qui est le sentiment de perte de contrôle.

La boulimie et surtout l’hyperphagie boulimique ne sont pas pour moi des maladies mais des symptômes reflétant une véritable souffrance. Si l’hyperphagie boulimique était une maladie, cela signifierait qu’elle serait la cause de l’obésité or il n’en est rien. Les formes d’obésité secondaire à un trouble hyperphagique sont exceptionnelles.

La boulimie n’a rien à voir avec un problème de satiété

La boulimie n’a rien à voir avec la satiété. Les perturbations du centre de la faim et de la satiété conduisant à une hyperphagie sont exceptionnelles. Elles peuvent se voir dans certaines pathologies hypothalamo-hypophysaires (après chirurgie hypothalamo-hypophysaire par exemple) ou dans dans certaine forme d’obésité « monogénique » avec des prises de poids extrêmement rapides dès la naissance et qui s’avèrent tout à fait exceptionnelles.

Si la boulimie est un symptôme, l’important est de voir quelle maladie ou quel problème peut se cacher derrière ce trouble. Et c’est là qu’il me parait important de ne pas mélanger toutes les situations.

L’anorexie – boulimie

La boulimie avec mécanismes de compensation pour ne pas grossir (vomissements provoqués, usage de laxatifs, de diurétiques, de jeûne prolongé, d’exercices physiques intenses) surviennent plus souvent chez les femmes jeunes en particulier au moment de l’adolescence et peuvent succéder à une phase d’anorexie. Il existe très souvent de façon associée des troubles des cycles avec disparition des règles (une aménorrhée).

Nous sommes dans ce cadre dans un trouble sévère du comportement alimentaire qui s’inscrit le plus souvent dans une interaction familiale importante. Une particularité de ce trouble est qu’il s’associe à une aménorrhée qui peut même parfois précéder le trouble du comportement alimentaire. Les jeunes filles « boulimiques – vomisseuses » s’apparentent plus au problème de l’anorexie mentale. La prise en charge doit dans ce cas être axé de façon prioritaire sur un abord psychologique. Cet abord psychologique doit rechercher en priorité des antécédents de psychotraumatismes (comme des agressions sexuelles, de l’abus sexuel, de la violence intrafamiliale, des problèmes d’alcoolisme dans la famille etc.). L’autre orientation, en particulier chez les adolescents, est d’intégrer la dimension familiale car les enfants ayant des troubles du comportement alimentaire sont parfois les « symptômes » d’un dysfonctionnement de la famille. La thérapie familiale prend alors toute sa dimension.

Au moment de l’adolescence ou de la préadolescence, l’anorexie et la boulimie s’inscrivent dans un véritable trouble de « développement » : le passage de la jeune fille à la femme, une sorte de blocage dans le cycle de vie. Le contexte est totalement différent de ce que l’on rencontre dans les problèmes de surpoids.

Les troubles compulsifs dans l’excès de poids

Les troubles compulsifs s’inscrivant dans un problème d’obésité ou de surpoids sont beaucoup plus fréquent. Ce qui est similaire, c’est la notion de perte de contrôle : c’est plus fort que soi. C’est ce point qui est important plus que la quantité d’aliments ingérée.

Dans la « boulimie – vomissement », les personnes sont confrontées à de véritables « orgies alimentaires ». Ce n’est pas obligatoire dans les troubles compulsifs rencontrés dans l’obésité même si bien sur les quantités ingérées peuvent être importantes caractérisant alors le terme d’hyperphagie boulimique.

Les troubles compulsifs dans l’obésité peuvent apparaître dès l’enfance mais aussi à l’âge adulte (même s’il n’y a pas eu de problème de poids pendant l’enfance). Quand on analyse l’histoire des problèmes de poids et l’apparition des tendances compulsives, on retrouve systématiquement une problématique émotionnelle. C’est ce que l’on appelle aussi « l’alimentation émotionnelle ». L’émotion est au centre du problème compulsif.

La crise compulsive est un moyen de trouver de l’apaisement : apaisement d’un mal être en se remplissant, apaisement d’une émotion, apaisement d’une sensation… Cet apaisement peut être procuré par le plaisir que procure l’aliment mais, dans un grand nombre de cas, ce qui est mangé ne fait pas forcément plaisir. Ce qui est recherché est le remplissage.

Le problème central est donc la régulation émotionnelle. Chez quasiment tous mes patients ayant des tendances compulsives, je retrouve des problématiques :

  • d’attachement autrement dit des relations aux parents perturbées (maltraitance, carence affective, humiliation…) : ceci peut se voir chez les enfants en surpoids mais aussi chez des adultes en surpoids ayant eu des perturbations de l’attachement pendant leur enfance
  • de pression sur le poids chez l’enfant par l’entourage familial ou par les professionnels de santé : début de la stigmatisation
  • de deuils
  • de burn out
  • de psychotraumatismes subis (comme des viols, agressions sexuelles, abus sexuel pendant l’enfance, harcèlement scolaire, harcèlement professionnel, violence conjugale…)
  • d’avoir été témoin dans son enfance d’évènements traumatiques (violence conjugale, alcoolisme chez les parents…) ce qui rejoint la problématique de l’attachement

Une autre composante émotionnelle est liée au problème de poids lui-même : la fait de se focaliser sur son poids, l’obsession de maigrir, la pression à la perte de poids. Et c’est là un véritable problème qui contribue à un cercle vicieux d’aggravation. La frustration de la restriction des différents régimes qui ont été essayés, la pression de l’entourage sur le poids, la pression médicale sur le poids, la pression minceur de la société, la stigmatisation des personnes en surpoids, la « grossophobie » sont autant de déclencheurs « émotionnels » qui ne font qu’aggraver le système.

Pour une meilleure prise en charge… Une prévention plus efficace

Les recommandations de prise en charge proposées par l’HAS est de proposer une prise en charge pluridisciplinaire d’emblée. Comment fait-on ? Se rapprocher des structures prenant en charge les troubles du comportement alimentaire ce qui conduirait à faire cohabiter des personnes anorexiques mentales et des personnes obèses ! Comment envisager une prise en charge pluridisciplinaire quand les consultations avec une psychologue ou une diététicienne ne sont pas remboursées alors que le problème de l’hyperphagie boulimique dans l’obésité touche des populations parfois défavorisées. Comment envisager une prise en charge pluridisciplinaire quand les acteurs ne sont pas formés à la spécificité de ce problème de comportement alimentaire ? Comment envisager une prise en charge pluridisciplinaire quand on considère que la prise en charge comportementale de l’obésité commence à être envisagée le plus souvent a stade où l’on envisage une chirurgie bariatrique (et encore pas de façon systématique). A un stade de surpoids ou d’obésité plus modérée, les patients sont le plus souvent livrés à eux mêmes et entrent dans le cercle vicieux des régimes qui conduisent à terme à une aggravation du poids. Cela fait 20 ans que l’on dit que les régimes sont inefficaces voire aggravant sur le long terme et que l’on voit on fleurir chaque année, la promotion de plein de régimes. Le marché de la minceur représente aux Etats Unis un budget de 55 milliards de dollars par an !

Ces recommandations ont l’avantage d’alerter les professionnels de santé sur ce qui est un véritable problème de santé, une réelle souffrance pour un grand nombre de personnes. Le soucis, c’est qu’il n’y a aucune solution pragmatique de prise en charge ou d’accompagnement en particulier pour le plus grand nombre : les personnes souffrant d’obésité.

Si l’on veut sortir de ce cercle vicieux, il me parait important de considérer la boulimie et l’hyperphagie boulimique comme deux entités différentes nécessitant une organisation de prise en charge différente.

Pour la boulimie (sous entendu avec vomissements ou autre mécanisme de compensation), une organisation basée effectivement sur un abord pluuridisciplinaire spécialisé impliquant psychiatres, psychologues, nutritionnistes, diététiciens particulièrement formées à cet abord.

Pour l’hyperphagie boulimique ou les troubles compulsifs observés dans l’obésité, c’est, à mon sens, la façon de regarder la prise en charge de l’obésité qu’il faut faire évoluer. Arrêter de résumer la problématique de l’excès de poids à la diététique et au manque d’activité physique. Cela fait plus de 20 ans que l’on aborde le problème du surpoids de cette façon et quelle réussite ! La fréquence de l’obésité en France ne s’améliore pas. Le nombre de personnes opérées d’une chirurgie bariatrique ne fait que croître chaque année.

Ce nouveau regard devrait intégrer la dimension émotionnelle en première intention. Là on se heurte à un véritable problème d’accès aux soins. Pourtant, certaines choses pourraient améliorer la situation : porter un autre regard sur les problèmes de poids, un regard plus bienveillant moins « jugeant », lutter contre la stigmatisation des personnes obèses véritable fléau qui génère, entre autre facteur, l’hyperphagie boulimique ou les tendances compulsives. Intégrer dans la formation des médecins une véritable approche de la problématique émotionnelle et des facteurs psychotraumatiques.

Quelle légitimité je peux avoir pour amener ce regard critique ?

Je pense avoir une certaine légitimité car je fais partie des quelques médecins spécialistes en endocrinologie, diabétologie et nutrition en France à être formé en thérapie stratégique, en hypnose ericksonienne, en psychotraumatologie et en thérapie EMDR. J’ai connu 2 grandes étapes dans ma carrière. La première, celle de médecin nutritionniste avec une approche centrée sur la nutrition comme le font très bien mes confrères. Et à partir de 2004, avec ma formation en Thérapie stratégique et en Hypnose Ericksonienne, mon regard sur le patient a complètement changé. J’étais enfin armé (au bout de quelques années) pour arrêter de séparer le corps et l’esprit, j’étais enfin armé pour aborder mon patient d’une façon globale centrée non pas sur ses kilos mais sur sa personne avec son histoire, ses ressources, ses traumatismes, ses émotions. Mes formations ces dernières années à la psychotraumatologie et à l’EMDR n’ont fait que conforter ma conviction de la nécessité de faire évoluer la prise en charge des problèmes de poids et aider de nombreuses personnes à sortir de ce cercle vicieux de la souffrance.

Le travail est immense mais « la plus haute des montagnes craint l’homme lent ».

La discussion est ouverte… Vous êtes professionnels de santé ? Partagez votre expérience. Vous êtes concernés par ce type de trouble ? Témoignez. N’hésitez pas à partager.

A très bientôt.

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