Obésité et si on arrêtait l’hypocrisie…

Dr Dominique Boute – Médecin Spécialiste en Endocrinologie et Métabolismes –

C’est bientôt la journée mondiale de l’obésité… En tant que médecin spécialiste de l’obésité, ayant accompagné depuis plus de 30 ans des milliers de personnes en situation d’obésité, j’ai besoin d’exprimer un certain agacement envers notre système particulièrement suite à la lecture du dernier « Guide du Parcours Surpoids et Obésité ».

Ma particularité est de m’être formé depuis maintenant  18 ans à la Thérapie Stratégique et aux démarches integratives (hypnose ericksonienne, psychotraumatologie, EMDR) ce qui m’a permis de faire évoluer ma façon d’aborder les patients. 

La problématique de l’obésité met en exergue les insuffisances de notre système de soins. 

Ma façon de voir l’obésité aujourd’hui est centrée sur l’association d’une prédisposition héréditaire à cette maladie et d’une véritable problématique de « déconnexion de soi » qui conduit à une cette inflation du tissu adipeux et un changement du corps. 

Ce mot déconnexion est au centre du problème. Je pourrais même employer le mot de dissociation

On le retrouve dans le système de santé et les recommandations dites de prise en « charge »… 

  • L’obésité est reconnue comme une maladie complexe mais une maladie dont on attend l’aggravation pour un accompagnement spécialisé pluridisciplinaire et souvent quand on évoque la chirurgie bariatrique…
  • Une maladie dont on laisse se diffuser des methodes dont on sait depuis plus de trente ans qu’elles ne n’ont fait qu’aggraver le problème. Et on le voit encore aujourd’hui dans un matracage publicitaire et une vision qui surfe sur l’ideal « minceur », réelle source d’aggravation des problèmes de poids…
  • Un nombre de guide de bonne pratique, de recommandations de prise en charge… quasi annuelles avec certes des documents de qualité bien documentés… mais mesdames et messieurs les experts etes vous bien connectés à la réalité terrain ? 
  • Faire porter au medecin Generaliste le poids du dépistage, du reperage de situation complexe, d’accompagner sans stigmatiser etc etc… et imposer aux medecins generalistes de voir un patient toutes les 10 minutes. On va dire qu’ils vont être aidés par des assistants médicaux ? Quelles compétences pour déceler une problématique de trauma complexe ?
  • Placer la Dieteticien-ne au centre du dispositif alors que les diététicien-nes ne sont toujours pas remboursés…
  • Galvauder la place et la fonction des Diététicien-nes lorsqu’elles sont  recrutées dans des plateformes pour leur faire vendre des produits minceurs… alors que les recommandations les incitent à travailler l’aspect comportemental…
  • Evoquer le traitement médicamenteux de l’obésité alors qu’il n’est pas remboursé et que l’on evoque le gradient social de l’obésité…
  • Mettre en avant la dimension psychologique… Imaginons qu’un médecin generaliste depiste un problème d’abus sexuel après 9 minutes de son temps imparti avec forte réaction émotionnelle necessitant un accompagnement psychologique rapide ? Il lui reste 1 mn pour trouver un psychiatre ? Une psychologue oui mais cette patiente est au chomage et ne peut pas voir une psychologue en ville…  Appeler le CMP… prochain rendez vous dans 1 an… 
  • Par ailleurs, qui est réellement formé à l’accompagnement des Traumatismes complexes à partir de démarches integratives ? 
  • Voir encore des chirurgies bariatriques sans réelle préparation comportementale… 
  • Axer l’accompagnement en programme ETP de groupe et ne pas financer des approches individuelles (psychologues, diététicien-nes) au sein des hôpitaux 
  • Arrêter le financement de programmes d’Education Therapeutique axés sur l’activité physique sous prétexte de ne pas être affiliés à une maison « sport et santé »… et lorsqu’on est affilié à une « maison sport et santé » imposer sur 6 seances, 3 séances theoriques sur les bienfaits de l’activité physique ! alors que ces patients ont besoin de reprendre contact avec leur corps et que la pratique au sein d’une structure leur permet de reprendre confiance en leur capacité…
  • Et j’en passe probablement…

Oui le système est déconnecté ! Oui le système est dissocié !

Oui nos patients en situation d’obésité sont déconnectés parce que cela fait trente ans qu’on les enferment dans des règles à suivre, dans une pression pondérale, dans une stigmatisation avérée ou larvée, où l’on regarde les kilos et non la personne et son histoire… parce qu’ils vivent une souffrance quotidienne source d’activation émotionnelle qui les conduisent à se dissocier pour ne plus souffrir.

La problématique de l’obésité nous ramène à une remise en question de nos stratégies de prévention et d’accompagnement. 

Cela fait 20 ans qu »on diffuse des messages valorisant une alimentation dite saine et équilibrée et la nécessité de bouger…  mesures dont les bienfaits préventifs ne sont plus à démontrer… et pourtant, cela fait 20 ans que chaque année on lance des alertes sur l’aggravation de l’obésité partout dans le monde. 

Et si nos stratégies de prévention contribuaient à l’aggravation du problème ? Et si elle contribuait à aggraver la deconnexion de soi ? 

Regardons la simplicité des actions à mettre en œuvre : valoriser la consommation des fruits et legumes, manger selon sa faim, marcher… Regardons les bienfaits de la perte de poids au plan de la santé et du bien être qui ne sont plus à démontrer… et pourtant le modèle ne marche pas. 

Est ce la confirmation que « l’obèse est vraiment une personne « sans volonté » et qu’il faut taxer les mauvais aliments pour qu’elle ne puisse plus les acheter ou leur couper leur estomac pour qu’ils arrêtent de manger ? » ou est-ce la confirmation de la nécessité de faire évoluer nos stratégies d’accompagnement ? C’est bien évidemment dans cette deuxième voie que je m’engoufre.

Une voie intégrative centrée sur la personne, sur son besoin..

Une voie centrée sur une véritable conduite de changement et non d’amaigrissement… 

Une voie centrée sur une véritable approche émotionnelle des problèmes de poids afin que la personne en situation d’obésité retrouve un sentiment d’apaisement intérieur qui est la base du changement du corps.

Le travail reste immense pour faire évoluer les choses… 

Je laisse ce post à vos réflexions, partages et commentaires…

Dr Dominique Boute

 

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